lecture: Alain Borredon. Une jeunesse dans la crise

Alain BORREDON. Une jeunesse dans la crise L’Harmattan 1995. Ayant réalisé dans plusieurs académies des entretiens et de sérieuses enquêtes au sein de lycées, auteur de rapports, Alain BORREDON, Docteur en sciences de l’éducation, se penche sur «les nouveaux acteurs lycéens» tels qu’ils apparaissent dans les mouvements des dix dernières années. Notant à juste titre le passage d’un statut «d’acteur rallié» au mouvement étudiant en 1986, à celui «d’acteur autonome» dans le mouvement de 1990, et enfin d’acteur «partenaire» au printemps 1994 (CIP) , les lycéens auraient fait la preuve qu’ils «étaient devenus de nouveaux acteurs sociaux dans la société française». Ils ne constituent pas seulement un «groupe d’intérêt» mais revêtent ponctuellement des traits «relevant de la catégorie sociologique «mouvement social» selon la terminologie d’Alain Touraine».

Si dans ces trois mouvements des «conditions objectives d’expression d’une revendication massive» existent (projet Devaquet, budget, CIP), «l’organisation d’une telle action posait […] de vrais problèmes», et de souligner le «rôle politique de leader» qui ne se limite pas à orienter l’action mais aussi à donner ou dégager «le sens d’un réel parfois confus». Le rôle du «militant» est ainsi défini, mais comment un lycéen devient militant ? Continue reading ‘lecture: Alain Borredon. Une jeunesse dans la crise’

lecture : Pierre Bauby et Thierry Gerber. Singulière jeunesse plurielle

Pierre BAUBY – Thierry GERBER. Singulière jeunesse plurielle. PUBLISUD 1996 – 198 F. Le titre du livre de Pierre Bauby et de Thierry Gerber indique qu’il se situe dans la question que se posent bien souvent aussi bien acteurs et militants que chercheurs : existe t’il une ou plusieurs jeunesses ?

Dans une première partie, les auteurs nous invitent à visiter «les jeunes des années 1990», ce qui implique de «s’interroger sur ce que recouvre la notion de jeunesse». A la suite d’un premier chapitre qui fait l’inventaire des analyses publiées, se dégage ainsi des «éléments d’un portrait socio-politique», des jeunes dans leur diversité, «la notion de jeunesse apparaît comme trop unique et uniformisante». Des «traits saillants» se dégagent des «manifestations plurielles» des jeunes : «sensibilité pragmatique, individualité autocentrée et solidaire, méfiance et ouverture et tolérance». En fait, toute cette première partie (qui traite ensuite de la relation des jeunes au travail, au syndicalisme, à la politique, à l’environnement) est une sorte de passage en revue des différents auteurs et chercheurs qui se sont exprimés dans les dernières années dans diverses publications (livres et revues). De ce point de vue, c’est une sorte de somme de références et citations, avec tableaux statistiques et chiffres à l’appui. Mais la quantité des citations nuit souvent à la compréhension du point de vue des auteurs, qui apparaît comme noyé par les points de vue de ceux qu’ils citent. Continue reading ‘lecture : Pierre Bauby et Thierry Gerber. Singulière jeunesse plurielle’

Pierre Louis Marger. Les étudiants, l’armée et le service militaire

Colloque RESSY et les deux UNEF, « 50 ans de syndicalisme étudiant », avril 1996. reproduit dans Robi Morder (coord), Naissance d’un syndicalisme étudiant. 1946: la charte de Grenoble, Paris, Syllepse, 2006.

Je ne vais pas traiter de l’ensemble de ce problème. Je ne connais pas trop le titre de vice-président de l’UGE, Union des grandes écoles, comme un gage d’autorité dans ce domaine, et je vous dirai pourquoi tout à l’heure, puisque je n’ai été vice-président de l’UGE que pendant quinze jours, et j’ai été chargé pendant quinze jours des rapports de l’UGE avec l’armée.

Beaucoup de choses ont déjà été dites, je ne suis sûrement pas d’accord avec tout, mais je suis d’accord avec beaucoup de choses et je reste quand même dans la préhistoire parce que l’époque où j’ai vécu ma vie d’étudiant, non pas à l’université mais dans une grande école d’ingénieurs, c’était cette période du début de la Guerre d’Algérie. C’est donc le moment où l’armée est intervenue avec force dans la vie des étudiants de plusieurs manières, de manière contradictoire. D’abord, il y avait la nécessité pour l’armée de s’exprimer sur les choix qui étaient faits dans le service militaire avec un service important en Allemagne, un service en France où se déroulait beaucoup de classes, et la vie en Algérie comme militaire en particulier après le vote des pouvoirs spéciaux. Et très vite dans ces trois éléments de la vie des étudiants dans leur engagement futur comme citoyens effectuant leur service militaire il y avait bien sur la durée du service. J’ai fait 27 mois et 27 jours, et je n’étais pas le seul, c’était imparable, ou bien je faisais le choix de l’insoumission. Etait donc imparable la nécessité de participer à cette vie dont je rappelle qu’elle était voulue, apparemment tout au moins, dans les votes par la Nation. C’était aussi bien sûr la manière dont on abordait nous-mêmes comment on allait aborder le problème des tortures en Algérie qui était un élément essentiel, je crois, des préoccupations des étudiants à cette époque. Pas tout de suite. Pas pour tout le monde. Mais je crois pour beaucoup à partir de l’information qu’apportaient notamment les mouvements d’action catholiques, mais aussi La route des scouts de France, les mouvements protestants, comme certains mouvements d’inspiration politique. Dans ce cadre là il y avait quelque chose d’important sur lequel je vais revenir. Je voudrais d’abord commencer par ce qu’était le service militaire et en particulier pour les grandes écoles, puisqu’il y avait à ce moment là l’Union des grandes écoles qui avait son mouvement particulier, séparé de l’activité de l’UNEF et avec une vie syndicale très limitée, essentiellement de type «folklorique» pour une part, mais pour lequel la Guerre d’Algérie allait conduire à se poser la question de ses rapports avec l’ensemble des étudiants. Il y a eu en particulier un élément intéressant à souligner, c’était la manière dont l’armée a proposé aux étudiants de suivre, pour ceux les plus grandes écoles (dites les «vraies» grandes écoles) une instruction militaire obligatoire qui conduisait les anciens de ces écoles à rentrer dans le service militaire comme sous-lieutenant, et donc d’échapper aux classes et d’avoir une vie de privilégié (disait-on) dans l’armée. C’est vrai que ces rapports avec l’instruction militaire obligatoire avaient un gros avantage pour certains étudiants, mais coupaient du même coup les préoccupations de l’UGE en deux et rapprochaient d’une certaine manière les grandes écoles dites «petites» des étudiants en université. Et cette instruction militaire obligatoire avait aussi un autre aspect, qui était de rentrer directement dans le cadre de ce que le patronat dans sa grande majorité essayait de faire avec les anciens élèves des écoles, d’ingénieurs en particulier, mais aussi des écoles de gestion, c’est à dire une caste à part dans les couches sociales correspondantes aux salariés. Je voudrais souligner combien pendant longtemps l’UGE a été une chasse gardée de ceux qui souhaitaient maintenir parmi les salariés une coupure entre les ingénieurs et cadres et l’ensemble des autres salariés. Ceci est resté une politique patronale jusqu’à il y a peu de temps, et qui demeure encore une politique de certains patrons.

Il y avait surtout ce qui se passait en Algérie et qui, petit à petit est devenu un élément essentiel de la réflexion des étudiants, et ensuite de l’action à mener dans l’armée même, par les anciens étudiants en liaison avec les autres catégories de jeunes qui faisaient leur service militaire.

Pour résumer, d’une part une instruction militaire obligatoire conduisant à un rapprochement entre l’UGE et l’UNEF, et d’autre part ce qui se passait en Algérie qui rapprochait l’ensemble des syndicalistes étudiants de l’ensemble des mouvements de jeunesse

Il y a me semble t’il dans ces rapports entre l’armée et les étudiants à cette époque là, et me semble t’il encore maintenant, une association étroite entre cette politique de l’armée et celle de l’organisation capitaliste, où il y a d’un côté ceux qui sont privilégiés dans l’organisation de la société -même s’ils ne sont pas privilégiés pour la décision définitive- et ceux qui sont moins privilégiés, et quelquefois directement exploités par les premiers.

Il me semble qu’il y a là une réflexion à avoir qui n’est pas simplement celle du passé, celle de la Guerre d’Algérie, encore que cela pose des questions pour demain, quand il y aura le débat sur le service militaire. Je voudrais rappeler qu’au moment du putsch de 1961 il y a eu quand même avec l’action menée par les appelés, une réaction tout à fait utile pour empêcher la prise du pouvoir des généraux dits félons, et qui étaient tout simplement je crois des généraux orientés plus à droite encore politiquement que le gouvernement au pouvoir à l’époque, mais cette action doit être réfléchie. Il ne faut pas attendre d’avoir la réflexion complète tous pour dire ce que l’on pense.

Encore deux choses.

La première, c’est que dans ce qui a été la Guerre d’Algérie, et dans ce qui a été pour les étudiants une découverte importante, il y a eu la découverte de ce qu’était la colonisation avec la violence de la guerre, violence très importante que nous avons vécue. On en a peut-être assez parlé à un moment, on n’a pas été au bout de la réflexion. Pourquoi certains parmi nous ont torturé ? Pourquoi d’autres non ? Ce n’est pas simplement au niveau de l’action militante au sein d’un mouvement syndical étudiant qu’on trouvera la réponse, mais on peut peut-être y trouver une partie de la réponse et ça vaut le coup de réfléchir à ce que cela peut être pour des étudiants qui demain peuvent se retrouver dans une situation, non pas identique mais proche. Qu’est-ce qui fait que les uns ou les autres à un moment donné on a une attitude d’homme ou de femme adulte ou bien au contraire qu’on se laisse entraîner dans des situations dramatiques pour ceux qui sont torturés, mais aussi pour ceux qui torturent.

La deuxième chose, c’est que dans ce syndicalisme étudiant que j’ai rencontré, j’ai trouvé peu de choses -et je m’en excuse auprès des responsables de cette époque là- pour me permettre ensuite d’être militant dans la vie sociale. Je ne parle pas de la vie politique, mais de la vie sociale dans les entreprises, et je crois que là il y a un vrai problème pour l’organisation syndicale des étudiants. J’ai entendu tout à l’heure que les étudiants avaient été pendant un temps au centre d’une réflexion du mouvement social en France. Je crois que c’est en partie vrai, mais je crois aussi que c’est difficile de limiter au mouvement étudiant l’autorité qui était la sienne, limiter à cette autorité l’avancée extrêmement lente du mouvement social en France et de sa nécessaire évolution.

 

Jean-Paul Molinari. Le Mouvement étudiant depuis 1985

Colloque RESSY et les deux UNEF, « 50 ans de syndicalisme étudiant », avril 1996. reproduit dans Robi Morder (coord), Naissance d’un syndicalisme étudiant. 1946: la charte de Grenoble, Paris, Syllepse, 2006.

Le mouvement étudiant doit sans doute son appellation à la force de l’évidence tout autant qu’à l’existence d’un répertoire français de l’action collective dominé par la référence au mouvement ouvrier et au mouvement social;
A la force de l’évidence, car il ne se passe guère d’année sans que des étudiants ne descendent dans la rue ou ne se réunissent en assemblées et congrès pour mettre au point et en acte motions et stratégies. Quant à la référence aux grands aînés elle s’impose elle aussi dans l’action, et parfois l’action commune, avec suffisamment de naturel, pour qu’on ne lui demande pas plus de gage. Pour autant, la question de la nature d’un tel mouvement semble devoir mériter mieux que cette douce empathie empiriste, si on s’intéresse à l’Histoire réelle, à ce qu’elle draine de changements incessants et à ce qu’elle comprend de nouveau.

Or, il n’est pas certain, de ce point de vue, que les actions collectives menées dans le monde étudiant depuis dix ans doivent se penser dans la seule continuité d’une histoire syndicale née au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avec la naissance de l’UNEF. Certes une telle continuité existe .On s’interroge d’ordinaire assez peu sur ses bases sociales d’existence. J’en vois pour ma part deux grandes.

Prenons d’abord en compte la permanence des institutions syndicales étudiantes, dont la pérennité, à travers de nombreuses crises et scissions, renvoie aux liens qu’elles entretiennent avec les partis politiques: non qu’il faille voir là une absence absolue d’autonomie, dans une n-ième version de la thèse de la «courroie de transmission» ou de l»inféodation», mais, sans que non plus on en arrive à dissocier absolument la vie des premières de celle des seconds. Une des conditions historiques nouvelles qui déterminent la dynamique de ces liens se trouve aujourd’hui fournie par la constitution somme toute encore récente de l’ensemble des étudiants comme enjeu politique de grande envergure sociétale, s’agissant d’une catégorie sociale beaucoup plus nombreuse que par le passé et porteuse de savoirs scolaires et universitaires ainsi diffusés comme jamais dans la société française, et en même temps comme projetés dans son avenir à travers ses jeunes générations.

Déjà, lorsque la démographie ne comptait que quelques 200000 à 300000 étudiants le poids politique de ceux-ci, en lequel on reconnaissait donc alors l’existence d’un mouvement social, s’attestait dans la mobilisation contre la guerre coloniale en Algérie, à laquelle se trouvait directement exposée la jeunesse française, puis pour l’indépendance de la nation algérienne -lutte bientôt élargie à des mobilisations anticolonialistes nombreuses et diverses dans la période d’écroulement des empires coloniaux .Il manifeste aussi son importance dans le rôle avant-coureur de la jeunesse étudiante mobilisée en 1968, où se lit sans doute une qualité spécifique de ces mobilisations : cette capacité à poser avant tout le monde ce qu’il devient convenu d’appeler des « problèmes de société». Mais plutôt que d’en attribuer trop exclusivement l’origine à des propriétés inhérentes à «la jeunesse» faut-il aussi prendre en compte la situation des étudiants comme celle de jeunes intellectuels préparés à poser des distances critiques à l’égard des conditions que leur imposent, autant qu’ils les leur offrent, les autres générations et les pouvoirs socialement constitués, et interroger la position récurrente de générations successives de jeunes, filles ou garçons, qui à divers titres se trouvent , comme jeunesses, spécialement exposées à des risques ou aléas sociaux particuliers, en dehors même des conditions permanentes de la nécessaire construction de soi. Ceux de la mobilisation de guerre, on l’a dit, ou ceux qui sont liés au développement de l’incertitude des lendemains de l’emploi et du travail ou encore ceux qu’entraînent des pesanteurs morales ou culturelles issues de la «tradition»et des habitudes.

Or, ce qui a valu en cette société quand elle comptait si peu d’étudiants, alors que leur nombre atteint 2 millions 500000, soit dix fois plus qu’il y a 30 ans, vaut aujourd’hui plus encore : le monde étudiant se présente  avec, ou comme, un potentiel politique nouveau. dans une société française en restructuration critique.

L’autre assise solide du mouvement étudiant n’est pas moins politique : l’Etat  met en effet son Université en réforme permanente, dans un processus quasi-incessant d’ajustements qui, pour n’être pas tous structurels, n’en touchent pas moins à des conditions d’études ou de vie jugées suffisamment importantes par de larges fractions des populations d’étudiants pour que ceux-ci s’engagent dans des actions revendicatives d’envergure. Peu d’univers professionnels ou scolaires sont ainsi perpétuellement agités par des changements des règles du jeu, qu’il s’agisse des conditions d’accès aux établissements, des budgets de fonctionnement et des autres moyens dont disposent ceux-ci, de l’économie des étudiants ( frais d’entrée, régime des aides), de la réorganisation des régimes d’étude en chaque cycle, des procédures d’examination, de sélection, d’orientation, des mesures d’organisation et de réglementation des entrées dans le procès de travail : de la position stratégique de l’Université dans la reproduction sociétale, avec le bouquet de fonctions sociales qui sont les siennes dans l’économie, la politique, l’idéologie, résulte ce continuel remaniement visant, selon des finalités gouvernementales où se combinent des positions de classe et de parti et des visions plus ou moins réalistes et prospectives de l’Histoire, à faire dépendre le fonctionnement de l’Université d’évolutions voire de prévisions dans les demandes de qualifications en priorité Qu’on l’appelle ainsi ou non toute « réforme» porte en elle ces signes de pragmatisme économiste et suscite in petto des luttes à l’intérieur du champ universitaire, et spécialement dans sa partie aujourd’hui massive, celle où se concentre le plus grand nombre d’étudiants, dans les conditions les moins propices à une pleine liberté d’étude, là où ne se retrouvent pas ou très peu les futurs dirigeants de l’économie et de la politique élevés dans les institutions de la Noblesse d’Etat, ni les futurs membres des professions libérales. Il faut en effet noter que les mouvements concernent principalement les étudiants de Lettres et Sciences Humaines, à un degré moindre ceux de Sciences et Techniques et de Droit et Sciences Juridiques, épisodiquement mais avec force ceux des IUT, c’est à dire les inscrits des établissements où dominent les étudiants issus de familles des classes populaires et moyennes, alors que le bloc Santé et le secteur des Grandes et moins grandes écoles fournit peu de combattants dans ces luttes là. On a presque scrupule à rappeler tel constat, mais il n’étouffe pas la réflexion sur « le mouvement étudiant», qu’on en nie les termes ou qu’on en accepte trop facilement l’existence comme allant de soi. Il en va de même pour la puissance provinciale nouvelle de ce mouvement des étudiants des facultés de masse et des IUT. De même que le mouvement social de 1995 dont l’ampleur provinciale surprit bien des esprits centralistes trop vite accoutumés à leur propre vision ethnocentriste d’une société  sans plus de classes sociales et composée, sans plus d’acteurs collectifs, des seuls individus, les mobilisations étudiantes, de Novembre 1986, contre le projet de loi Devaquet, jusqu’ à l’automne 1995, ont vu apparaître ces néo-étudiants, dont les parents n’ont jamais même espéré accéder à l’Université et qui n’auraient eux-mêmes eu que très peu d’espoir d’y parvenir si, quinze ou vingt ans plus tôt, ils avaient eu l’âge qu’ils ont ou avaient lors des luttes de cette décennie. Ce qu’on appelle la démocratisation de l’école a de fait permis cet accès social formidablement élargi quoique qu’encore très socialement inégal à l’Université, tout autant que le bouleversement de la carte française des établissements d’enseignement supérieur, dont certains sont implantés dans des communes où n’existait pas, il y a de cela 30 ans, le moindre collège, et qui virent se dérouler en 1995 moult manifestations étudiantes.

Ces faits nouveaux, quelques études[1]  en attestent, prenant en compte des réalités que l’essai journalistique ou même l’analyse certifiée sociologique délaissent, et que la foi et l’activité syndicales ou politiques ne jugent pas assez nobles pour être intégrés dans les débats internes . Ils ne comptent pourtant pas pour rien dans les inflexions propres au mouvement étudiant français de la fin du siècle.

De 1986 (s’inscrire sans augmentation du prix des places) à 1987 et 1988 ( être inscrit avec de la place, des moyens, des profs…), puis au mouvement anti-CIP (après ces années d’étude une entrée professionnelle valorisée et non pas au rabais), et enfin aux mobilisations de 1995 ( parties des revendications de moyens d’étude et de recherche des étudiants de ROUEN, vite popularisées et élargies à l’ensemble déjà évoqué des facs et des IUT, naît, en lien fréquent avec une mobilisation solidaire de la jeunesse lycéenne, et se renforce, y compris de ses propres succès où on lit autant de reculades ou de replis prudents et tactiques des gouvernements constitués par les partis de la Droite, un néo-mouvement certes héritier de mémoire et d’organisation, mais aussi socialement plus composite que par le passé, et d’autant plus qu’ on remonte dans ce passé. Notons que la constitution actuelle d’un intérêt et d’un enjeu nouveaux autour de l’histoire et de la mémoire du mouvement étudiant se comprend peut-être en partie par l’inflexion historique ici évoquée, et par ce qui en est une condition d’existence et un élément décisif: l’arrivée des classes populaires dans le mouvement, voire, avec des  différences selon les organisations, à la tête de celles-ci, avec au sein de l’UNEF-ID, si l’on se fie à des études encore trop peu nombreuses, une dominante maintenue de ces classes moyennes lettrées , qui continuent à fournir les étudiants- cadres du mouvement global.

Par sa composition sociale, avec ce qu’elle porte aussi d’héritage neuf de cultures militantes ou de sympathie syndicalo-politique légué par des parents de milieux populaires, ce néo-mouvement se démarque déjà sensiblement de ces devanciers plus proches des classes moyennes des années de croissance, ou encore des classes supérieures d’après-guerre acquises aux valeurs du progressisme de cette époque. Mais sa spécificité tient aussi, sur ces bases démographiques nouvelles, à son propre mouvement de constitution, cette autodynamique en laquelle , sur 10 ans, s’enchaîne une série de revendications , suivant comme en synchronie le rythme des études et des difficultés d’une génération d’étudiants depuis son entrée jusqu’à sa sortie de l’Université Une génération en effet : car, outre le fait qu’une durée de dix ans définit assez bien le temps nécessaire à l’accomplissement d’un troisième cycle et que sans même cela une telle durée correspond bien à des liens et à des vécus communs sans trop de perte ou de différence de mémoire et de référence dans ce monde pourtant réputé sans mémoire, il reste que la concaténation de ces mobilisations correspond au point d’inflexion historique des flux d’entrée à l’Université (  1985-1987)  dans une période d’afflux massif (jusqu’en 1996) précisément caractérisée par l’accès nouveau de bacheliers venant de milieux ouvriers et de petits employés, dans les métissages eux-mêmes nouveaux de cultures et de socialisations propres à ces milieux selon leurs structurations d’emploi, de travail, de nationalité, de formes familiales. Bref : un monde nouveau dans le monde universitaire.

Tout cela, comme tout réel encore naissant et la pensée qui y balbutie, ne fait pas réflexion accomplie. Mais à titre de proposition provisoire on laissera volontiers le lecteur sur une question d’actualité: sans juvénophilie excessive ne peut considérer le double rejet des CIP puis des stages CNPF (Pineau-Valencienne) comme le double résultat d’une mobilisation d’étudiants, que leurs cultures familiales, tout autant que leur position de néo-accédants dans une Université entrevue comme vecteur sinon de promotion sociale mais au moins d’emploi garanti et valorisant, prédisposent à ne pas accepter le destin que préfigure la déréglementation du rapport salarial par la généralisation de l’emploi précaire, ouvrant ainsi la voie à un front de luttes sociales dont l’enjeu s’avère considérable.



[1]Jean Paul Molinari, Les Etudiants, Paris, Les Editions ouvrières 1992; Christian Le Bart, Pierre Merle, La Citoyenneté étudiante, Paris, PUF, 1997. Raphaël Desanti, Sociologie du syndicalisme étudiant. Maîtrise de sociologie, Université de Nantes 1996.

1946, témoignage : Pierre Rostini

Colombet Rostini Laisney photo grenoble 46

Une commission du congrès, on reconnaît Colombet (barbu), à sa gauche Laisney puis Pierre Rostini

[1] Témoignage au colloque du GERME « La Charte de Grenoble, naissance d’un syndicalisme étudiant », Paris, 20 mai 1995. Publié dans Les Cahiers du GERME, spécial N° 1, mars 1996.

LA TRANSITION

C’est moi qui étais secrétaire général de l’Union patriotique des organisations étudiantes. Je sais donc comment l’UPOE a fonctionné. D’autre part c’est moi qui étais président du comité préparatoire international que nous avons crée à Prague au moment du congrès mondial des étudiants du 17 novembre 1945. Pendant la guerre on avait décidé que le premier congrès d’étudiants devait avoir lieu à Prague un 17 novembre car les Allemands, le 17 novembre 1939 avaient détruit l’université de Prague, avaient fusillé les dirigeants de l’Union nationale des étudiants tchécoslovaque qui faisait partie, comme l’UNEF de la CIE, Confédération internationale des étudiants. La CIE n’a pas joué de rôle pendant la guerre.

Il y a quelque chose qui n’a peut-être pas été suffisamment dite, c’est la création du Service national des étudiants par Vichy. Parce que c’était exactement contre les AG. Par exemple, j’étais en 1943 président de l’AG d’Aix. Le fameux statut type, nous ne l’avions jamais vu, jamais appliqué. Mais le Ministère de l’éducation avait crée à Aix, contre l’AG, une section locale du SNE, qui recevait tout, qui représentait les étudiants partout. Continue reading ‘1946, témoignage : Pierre Rostini’

Charte de Grenoble et syndicalisme

salle congres 1946La Charte adoptée par les représentants des Associations Générales d’Etudiants (AGE) réunis en congrès de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) à Grenoble, en 1946, est intimement liée à l’idée de syndicalisme étudiant. Le syndicalisme étudiant ne trouve pas, en effet, à proprement parler son origine dans la naissance de l’UNEF en 1907 ou, plus près de nous, dans les événements de Mai 68. L’UNEF, unique dépositaire du syndicalisme étudiant jusqu’à la scission de l’organisation étudiante en 1971, est véritablement syndicalisée par la Charte de Grenoble en 1946.

Appuyer cette affirmation, en s’attardant sur le contenu de la Charte, suggère deux questions. La première concerne la place de cette naissance syndicale dans l’évolution du mouvement étudiant français depuis le début du siècle. La seconde tient à la nature de l’organisation étudiante du second après-guerre : en dehors de l’objectif initial de 1946 qui était la création d’un mouvement social étudiant, pas nécessairement un véritable syndicat, au sens professionnel du terme, la notion de syndicalisme étudiant est-elle pertinente ? Continue reading ‘Charte de Grenoble et syndicalisme’

Grenoble 46: naissance d’un syndicalisme étudiant

cahiers du germe mars 96 charte de GPublié dans Les cahiers du Germe n° 1, mars 1996.

« Le problème reste entier de savoir comment un milieu destiné à n’être que le reflet de son passé a pu réaliser ce paradoxe de s’exprimer quelques quarante ans plus tard sur le mode d’une organisation syndicale »[1].

 UN CONSTAT

L’UNEF est peu ou prou déconsidérée de par son attitude pendant la guerre, en tous cas auprès d’une grande partie de l’élite résistante active. Elle est d’ailleurs concurrencée par un certain nombre de groupes politiques et con­fessionnels qui sont auréolés, eux, du prestige de la résistance. Enfin, auprès des administra­tions. Il n’y a pas en tous cas unanimité pour redonner à l’UNEF sa place d’avant guerre, celle de seule représentante des étudiants, même s’il n’est pas envisagé de la dissoudre[2].

On peut, dès lors, s’interroger : pourquoi le nouveau projet d’organisation mis en oeuvre par cette génération de la résistance qui, on l’a vu, désire une réforme de l’enseigne­ment, et a un projet de syndicalisme étudiant (même si le terme n’apparaît pas encore défini de manière claire) passe par le cadre ancien de l’UNEF? Et comment? Il ne suffit pas en effet que certains aient fait un choix. Puisqu’il y a diverses op­tions ayant leurs partisans, comment l’une l’em­porte sur les autres. Enfin, quelles sont les conséquences de ce choix, en tous cas ses effets immédiats? Continue reading ‘Grenoble 46: naissance d’un syndicalisme étudiant’

 » LA CHARTE DE GRENOBLE « 

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Congrès de Grenoble, 25 avril 1946, commission de la vie matérielle de l’étudiant, le texte de la déclaration soumis à la discussion

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